Tayooo ! L’embarquement

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Un moment de flottement, une surprise, de la peur et c’est la catastrophe : l’adrénaline prend le dessus et notre fidèle destrier s’enfuit… Avec nous dessus. Un cheval qui « embarque », c’est une situation dangereuse et soudaine, où le contrôle nous échappe. Le cheval est comme dans une bulle, où aller vite et loin semble être la seule solution. La fuite est instinctive, gérée par des processus cognitifs « primitifs ». La communication avec le cheval est rompue, et faire redescendre la pression devient un défi crucial pour la sécurité. La perte de communication et la vitesse entraînent souvent une sensation de perte de contrôle.

Comment reprendre contact avec son cheval ?

En bref !

Il y a toujours une raison sous-jacente à un cheval qui embarque : physique, psychologique, environnementale, etc. Cette/ces raison(s) peuvent être internes (peur, douleur,…) ou externes (environnement, autres animaux,…) au cheval. Comprendre ces/cette raison(s) est la clé pour reprendre le contrôle. C’est seulement sur cette base que la communication peut être rétablie et que la situation peut redevenir sûre pour tout le monde. C’est une voie moins simple, nécessitant du talent équestre, mais c’est la seule qui résoudra véritablement la problématique dans la durée.

Pour « solutionner » ce problème, il est (encore trop souvent) conseillé d’augmenter le contrôle du cheval avec des équipements plus sévères : mors plus sévère, bride, rênes allemandes, etc. Ces équipements peuvent créer l’illusion de contrôle ou contraindre physiquement le cheval, générant parfois de la douleur pour décourager la fuite. Ces « conseils » sont résolument délétères pour votre cheval et pour vous-même.

Relancer une communication coupée, c’est d’abord s’assurer que rien ne limite le mouvement du cheval (dans sa bouche, mais pas que !), que la subtilité des stimuli peut être comprise/perçue et que la codification est bien claire pour le cheval. L’embouchure est effectivement un vecteur important dans cette situation, mais c’est moins sa sévérité que sa clarté qui sera déterminante pour arriver à la solution.

Les conséquences

Pour explorer cette problématique nous allons la prendre à l’envers. Nous allons d’abord commencer par parler des conséquences et parler ensuite seulement des causes. Car pour pouvoir trouver une solution à ce problème, il faut en comprendre les racines.

Un cheval qui embarque c’est une situation critique, dans laquelle cheval et cavalier sont en perte de contrôle. Les déclencheurs peuvent être multiples. Il peut s’agir d’un événement externe, par exemple dans l’environnement, que ce déclencheur soit facilement identifiable ou non. Il peut s’agir également de facteurs internes, quelque chose qui dans le corps ou dans la tête du cheval l’emmène à suivre son instinct d’animal de proie : fuir.

Réflexe primitif

Un cheval qui embarque, c’est tout simplement de la fuite vers l’avant, qui est un réflexe du cheval géré par des processus cognitifs dits primitifs. Et qui dit processus primitif, dit automatiquement manque de discernement et de raisonnement. C’est pour cela qu’un cheval qui embarque est difficilement maîtrisable et peut se mettre lui-même et son cavalier dans des situations extrêmement dangereuses. Ça n’est pas qu’il veuille volontairement le faire, c’est que le cerveau primitif a pris la main et c’est très difficile de le raisonner. Ces situations mènent donc à des potentiels accidentogènes extrêmement élevés dont il peut-être difficile de s’extraire. 

Les conséquences d’un embarquement sont donc difficilement maîtrisables mais toujours à minima préoccupantes et c’est pourquoi il est important, surtout si la situation se répète ou que l’intensité de ces événements s’accroît, de pouvoir trouver une solution rapidement.

Surtout, la conséquence principale de ce genre d’état est la perte partielle ou totale de la communication. C’est-à-dire que la liaison entre le cavalier et le cheval est rompue. Le cavalier n’arrive plus à se faire entendre, le cheval n’arrive plus à percevoir les demandes venant du cavalier. Et c’est cette perte de communication qui si elle se prolonge, peut devenir dangereuse. C’est donc en toute logique sur cette dernière qu’il va falloir se concentrer.

Les causes

Comme nous l’avons vu précédemment, un cheval qui embarque répond à des processus cognitifs dont il n’a pas forcément la maîtrise consciente. Mais qu’est-ce qui déclenche ces situations ?

Internes

Il peut y avoir des causes endogènes, c’est-à-dire internes au cheval. Par exemple, une incompréhension des demandes du cavalier, demandes qui, si elles sont répétées et ne font qu’accroître l’incompréhension du cheval, peuvent générer de la frustration, faire monter la tension et finalement conduire à une situation où le cheval perd un peu pied. Il peut également s’agir de douleur(s) dans le corps du cheval qui vont conduire à un processus d’évitement, processus qui naturellement chez le cheval consiste à fuir1.

Il peut également s’agir d’une fuite vis-à-vis d’une contrainte mécanique. En effet, le corps du cheval et tous ces segments articulaires doivent pouvoir bouger dans l’espace de manière libre. C’est ce qui garantit une bonne performance motrice et de bons processus cognitifs à la clé. Lorsque un mouvement est contraint, il peut y avoir une montée en pression qui conduit à des situations d’explosivité, dont la fuite peut faire partie. Un matériel inadapté, qui ne laisserait pas le cheval libre de ses mouvements ou encore des enrênements qui seraient mal réglés peuvent donc conduire à ce genre de situation. Une selle qui ne convient pas au cheval peut également faire partie des fautifs côté matériel.

Externes

Du côté des causes exogènes, donc extérieures au corps du cheval…Il peut y en avoir pléthore. En effet quelque chose dans l’environnement, un bruit, un animal qui surgit d’un fourré, un changement brusque de luminosité (ou chez certains chevaux le bruit de leur propre pet2)… Tout peut être déclencheur dans l’environnement. Nous n’allons donc pas entrer ici dans ce genre de détails, mais si vous avez un cheval qui est très sensible à son environnement et qui a tendance à avoir un réflexe de fuite très élevé, un travail de désensibilisation et ou d’habituation peut vous aider à rendre le phénomène moins fréquent.

Les solutions

Il va falloir aller un peu à l’encontre de ce que l’on a pu apprendre en tant que cavalier. Nous l’avons dit précédemment l’embarquement est la conséquence de plusieurs choses. Mais conduit toujours à une perte de communication entre le cavalier et le cheval. La solution réside donc à reprendre la communication pour pouvoir désamorcer la situation.

Attention à l’escalade !

Une fausse solution

Puisque la communication est rompue et que les stimuli ne sont plus captés par le cheval, la première solution (qui vous aura peut-être d’ailleurs été proposée) est d’intensifier les stimuli, de communiquer plus fort. Pour schématiser, dans votre travail équestre de tous les jours, vous parlez d’une voix normale ou vous chuchotez. Dans le cas d’un embarquement vous devez crier pour vous faire entendre. Pour se faire il faut du matériel qui vous permette de crier. Souvent c’est un matériel qui se révèle être relativement voire particulièrement sévère.

Le problème avec l’escalade de la sévérité des embouchures, c’est qu’elle vous permet peut-être de crier, d’appliquer des stimuli qui sont plus forts localement, mais elle ne vous rend pas plus clair ! Et si votre problématique de l’embarquement était liée justement à des difficultés de compréhension ou un réglage du matériel qui n’était pas adéquat ou encore un manque de liberté dans le mouvement de votre cheval… Alors vous devrez crier de plus en plus fort ! Sans avoir solutionné le problème de départ.

La « solution » de la sévérité du matériel se révèle donc très souvent être une grande impasse. C’est aussi une grande injustice pour le cheval, qui, à force de ne pas être entendu, peut entrer dans un état de résignation acquise3

Reprendre le fil

Du côté du matériel, la solution (la vraie) peut donc sembler contre-intuitive par rapport à ce que nous avons peut-être eu l’habitude d’apprendre. En effet, les conditions d’une bonne communication sont que les deux parties parlent le même langage, avec clarté et que la discussion se fasse dans un environnement logique. En somme à peu près tout l’inverse de ce qui peut conduire à une situation d’embarquement. Pour que la communication puisse reprendre, il faut que les deux parties parlent avec la même intensité de langage. Donc si votre cheval est en roue libre et que, par le biais de votre matériel, vous n’arrêtez pas de lui hurler dessus…Nous ne sommes pas dans une situation de bonne communication.

Ne pas détourner le matériel

Côté matériel donc nous allons retrouver le même triptyque dont nous avons déjà parlé qui est le confort, la clarté et la liberté. Il faut donc que l’outil soit confortable, sous-entendu adapté et correctement réglé. Il faut également qu’il soit clair et donc vos intentions transitent de la manière la plus simple et compréhensible possible. Y compris dans une situation critique comme peut l’être celle d’un embarquement. Et enfin il faut de la liberté de mouvement. C’est un petit peu le gros du programme. Et c’est là que c’est assez contre-intuitif par rapport à ce qu’on a peut-être pu apprendre. 

Augmenter le potentiel coercitif de votre matériel peut conduire à des montages illogiques où l’action du mors manque de subtilité et peut augmenter l’incompréhension.

Si votre cheval vous embarque, ne vous jetez donc pas directement vers des outils plus coercitifs. Ou vers des réglages qui permettent de rendre plus sévère le matériel (le réglage de la muserolle, par exemple). Ou vers des comportements qui vous rendent vous-même sévère (par exemple tirer sur les rênes). Le matériel est un vecteur d’information permettant la communication. Il n’est pas conçu pour vous faire entendre de votre cheval parce que vous le mettez dans un grand inconfort ou que vous lui faites mal ! Il est donc nécessaire de laisser le matériel à sa place d’origine.

La coercition n’est jamais la solution

L’embarquement est évidemment un problème multifactoriel. Surtout c’est un problème qui tient plus du comportement et de la réaction comportementale, que du matériel. Donc concernant le matériel il faut observer les mêmes précautions que celle que nous avons pu donner jusqu’ici. Par exemple laisser de la place pour la langue, faire attention à l’épaisseur et à la forme des canons, s’interroger sur les matériaux, regarder de près la codification de son contact… C’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir sur le matériel sur cette problématique. 

Le reste doit faire l’objet d’une rééducation cognitivo-comportementale. En ce sens, l’accompagnement par des professionnels connaissant bien le comportement des chevaux est nécessaire. Il s’agit d’un chemin évidemment un peu plus long puisque l’instinct grégaire du cheval va toujours aller vers la fuite. Mais identifier les paramètres et les déclencheurs de ces situations d’explosivité est la seule manière de régler définitivement la situation. C’est donc un chemin certes plus long, peut-être un peu moins gratifiant car un peu moins rapide, mais qui offre la meilleure solution sur du long terme. Et qui permet à votre matériel de rester à sa place de vecteur de la communication.

  1. Il peut paraître étrange de fuir un phénomène qui se passe dans son propre corps mais nous rappelons que ce sont là des processus cognitifs primitifs et qu’ils échappent donc à une certaine forme de logique… ↩︎
  2. Tiré d’une histoire vraie ! ↩︎
  3. L’impuissance apprise est un sentiment d’impuissance permanente et générale qui résulte du vécu d’un animal, humain ou non humain. Ce sentiment est provoqué par le fait d’être plongé, de façon durable ou répétée, dans des situations sur lesquelles l’individu ne peut agir et auxquelles il ne peut échapper – Wikipédia ↩︎