Problème de contact courant et difficile à cerner, un cheval qui passe la langue envoie un message: quelque chose ne va pas. Il existe des solutions, mais elles peuvent être difficiles à cerner.
Des manifestations multiples
Quand on parle d’un cheval qui passe la langue, nous parlons en fait de plusieurs situations distinctes, qui peuvent arriver de façon isolée ou bien simultanée. Le cheval peut par exemple passer la langue par-dessus son mors tout en la gardant dans la cavité buccale. Il peut aussi sortir la langue sur un côté de la bouche de façon ponctuelle ou bien garder la langue sortie de la cavité buccale sur un temps prolongé. Des situations dans lesquelles le cheval retire sa langue vers le haut et laisse donc entrer le mors au contact des barres, fait aussi parti du panel possible. Et toutes ces situations peuvent arriver individuellement ou bien être conjointes. Ce qu’il faut savoir, c’est que généralement ces manifestations ont une ou plusieurs causes qui sont communes et nous en parlerons un peu plus loin dans ce chapitre.
Une problématique potentiellement complexe
Toutes ces manifestations ne sont pas souhaitables. Elles sont le résultat d’une problématique, empêchent une bonne communication et peuvent à terme entraîner des blessures.
Pour commencer son investigation, il est nécessaire d’observer son cheval :
- Est-ce que les mouvements mandibulaires parasites ou/et les sorties de la langue advienne lorsque le cheval est équipé ?
- Lorsqu’il est dans son box ou au pré ?
- Lorsqu’il bouge ?
- Quand il est immobile ?
- Avec ou sans cavalier ? Les deux ?
- Lorsqu’il est longé ? Uniquement lorsqu’il est monté ?
- Est-ce que ça ressemble à un toc ?
- Dans quelle situation cela se répète ?
- Est-ce qu’il y a d’autres choses qui adviennent au même moment ?
- ….
Car oui, cette problématique est relativement multifactorielle. Et c’est exactement pour cela qu’elle est très difficile à cibler et à solutionner.
Une seule solution matérielle
La seule solution au problème de sortie ou de passage de langue au niveau du mors consiste à libérer la langue. En effet, la langue prend toute la place dans la cavité buccale. Si le cheval est amené à la sortir ou à s’extraire des contraintes de l’embouchure, c’est soit que l’embouchure n’est pas adaptée au cheval. Ou que la façon dont elle fonctionne n’est pas supportée. Mais aussi que les pressions qui sont exercées via les rênes sont trop fortes. Soit plus simplement, que la langue n’a pas suffisamment de place pour pouvoir bouger librement.
Un problème…visible
Comme une langue visible est très sanctionnée, d’une part vis-à-vis du regard des autres cavalières et cavaliers, d’autre part par les juges en dressage par exemple, les cavaliers ont tendance face à ce problème, à masquer plutôt que régler. Des muserolles plus serrées qu’habituellement, la mise en place d’une muserolle combinée (aussi appelée flash noseband) ou encore des dispositifs anti passe-langue sur les mors, font partie des caches misères les plus largement utilisés. Si ces dispositifs permettent effectivement de cacher la langue à la vue, ils sont néanmoins parfaitement incompétent pour régler le problème du cheval qui passe la langue.
La langue a la priorité
Il faut donc encore une fois faire preuve de discernement vis-à-vis de son matériel. La première chose à vérifier est donc que la langue a suffisamment de place sous l’embouchure pour pouvoir se mouvoir librement. Ceci peut être vérifié grâce à l’épaisseur, à la forme et au cintrage des canons du mors. Si tous les voyants sont au vert de ce côté-là mais que le problème persiste, alors il faut se poser la question des préférences de son cheval.
Est-ce que l’embouchure que j’utilise convient à mon cheval, est-ce que les demandes que je formule via le contact sont suffisamment claires et rapides et enfin est-ce que la communication avec mon cheval se passe bien ? Si la réponse à l’une de ces questions est non, il faut effectivement revoir les préférences de votre cheval au niveau de son matériel.
Et si c’est ok de ce côté ?
Si finalement du côté du matériel tout va bien, alors c’est que l’origine (ou les origines) du problème ne se situe(nt) pas à ce niveau-là. En effet, normalement si tout est OK du côté de l’embouchure et des réglages, et que le problème est lié uniquement au matériel, alors normalement il doit être résolu à cette étape.
Si ça n’est pas le cas, c’est que l’origine du problème se trouve dans d’autres facteurs qu’il va falloir explorer en parallèle.
Une investigation large
Lorsque l’on se retrouve dans cette situation, la priorité est donc d’arriver à cibler ce qu’il se passe pour son cheval. Et la mauvaise nouvelle, c’est qu’une fois le problème matériel et carte, il reste en fait beaucoup d’autres possibilités.
La selle ?
Pour commencer et rester un peu dans cet aspect matériel précédemment évoqué, nous pouvons regarder la selle. En effet, nous avons vu qu’au niveau anatomique beaucoup des grandes chaînes posturales entre l’avant et l’arrière main sont reliées. Au milieu de cette liaison nous trouvons la selle qui repose au-dessus du sternum du cheval. Si quelque chose ne convient pas sur la selle, par exemple que l’arcade est trop serré ou que les matelassures n’épousent pas correctement la forme du dos du cheval, alors il peut y avoir des restrictions de mobilité sous la selle qui entraînent des raideurs dans le corps du cheval.
Ces restrictions et raideurs ont des répercussions visibles au niveau de l’avant-main et du “calme” de la bouche. Lorsque l’on fait face à des problèmes de passage ou de sortie de langue, la vérification de la selle est une composante majeure. Pour se faire, vous pouvez appeler des professionnels de l’ergonomie de la selle, aussi appelé « saddle fitter ». Attention, d’autres professionnels comme l’ostéopathe ou le vétérinaire, peuvent avoir des connaissances en adaptation de la selle. Ils n’ont toutefois pas l’expertise d’un(e) saddle fitter2.
Puisque nous sommes dans la zone dorsale, il faut également savoir que certaines pathologies peuvent entraîner des restrictions de mobilité. Comme par exemple les conflits de processus épineux. Plusieurs avis valent mieux qu’un, n’hésitez surtout pas à contacter votre vétérinaire au moindre doute.
Gastro ?
Plusieurs études menées sur les chevaux montrent que ces derniers seraient sujet de façon très fréquente aux ulcérations gastriques3. Dans le cadre de séances de “bit fitting” il est arrivé très fréquemment que les chevaux présentant des problématiques de retrait ou de sortie de la langue aient également des acidités, voire des ulcérations gastriques4.
La prévalence est suffisamment élevée pour que ça ne tienne pas uniquement du hasard. Une autre piste se dessine alors, celle de regarder si son cheval a des acidités ou des ulcérations gastriques. En cours ou passées ! En effet, le souvenir d’une activité équestre montée au contact alors que les maux de ventre étaient présents peut laisser des traces. Parfois, l’acidité ou l’ulcération n’est plus présente où a été traitée… Mais le cheval peut conserver des attitudes liées à cette période pendant plus ou moins longtemps.
Mauvais souvenir ?
Niveau conservation d’attitude de fuite, de défense ou d’évitement, les chevaux ne sont pas en reste. Ils peuvent garder en mémoire des événements passés depuis longtemps. Tout comme nous, ils peuvent faire des associations entre des événements passés et des sensations. Associations plus ou moins malheureuses.
Ainsi, lorsqu’un cheval a été abusé dans sa bouche ou que la partie introduction du contact de son débourrage s’est mal déroulée, il peut garder des réflexes liés à ses souvenirs des années après. Plus le traumatisme a été vif, plus ces événements sont persistants dans la mémoire. Un cheval qui sortait la langue pour éviter une situation d’inconfort ou de douleur peut donc continuer à la retirer ou à la sortir même si sa nouvelle cavalière ou son nouveau cavalier est très pertinent dans son contact. C’est également une situation que l’on peut retrouver chez les chevaux qui se mettent en retrait du contact. L’encapuchonnement est devenu une façon de se soustraire qui perdure. Pour ces cas de figure la solution réside en une recodification, une réhabituation au contact.
Des TICs ?
Tout comme les TIC à l’air ou à l’appui par exemple, ces retraits/sorties peuvent tenir de l’habitude, de la compulsion5, exacerbés ou non par le stress. Ce cas de figure est par exemple légèrement plus fréquent chez les entiers. Petits, ils utilisent beaucoup leur bouche dans leur développement. Tout comme précédemment, il va s’agir dans ce cas de figure de rééduquer et de recodifier. C’est pour cela qu’il peut-être intéressant d’observer son cheval et de se poser toutes les questions vues en préambule. Pour pouvoir identifier les moments et la fréquence auxquels ces événements surviennent.
Un travail de longue haleine
La question du cheval qui sort et/ou passe la langue est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Multifactorielle, elle peut être difficile à détecter et nécessite d’observer son cheval sur une longue période pour pouvoir noter ses comportements, la fréquence d’apparition et l’intensité de ces événements.
Une telle situation qui ne serait liée qu’à l’embouchure, se règle en une seule fois. Le changement d’embouchure pour une solution qui dégage mieux la langue ou qui vous permet de communiquer plus simplement/clairement avec votre cheval, constitue la solution et peut se faire en une séance6. En revanche, si ces comportements persistent ou réapparaissent après une certaine période… C’est peut-être que leur origine trouve sa source ailleurs.
Et c’est dans ce cas-là que l’investigation doit aller un peu plus loin. Vous devez pour cela faire preuve d’un regard global et honnête sur la situation de votre cheval. Dans les cas les plus complexes, il peut être nécessaire de mettre en place un suivi avec les professionnels qui vous entourent. Ceci pour pouvoir travailler dessus dans le temps.
En tout cas ne désespérez pas ! Même si la résolution prend du temps, on en gagne toujours en ayant pris la problématique par le bon bout.
- Étude interne Ergoequine de mars 2019 à novembre 2021 et portant sur 40 dyades cavalier-cheval présentatnt des problèmes de sortie ou/et de retrait de la langue ↩︎
- À moins qu’elles/ils aient été formé(e)s sur un cursus long ↩︎
- À retrouver à la page Sources & Ressources ↩︎
- Plus de 76.3% des chevaux mentionnés au-dessus présentaient à minima un historique positif sur les acidités et/ou ulcérations gastriques ↩︎
- Attention, ce terme ne désigne pas tout à fait les mêmes comportements et mécanismes que chez l’humain ↩︎
- Ou plusieurs, si la situation l’exige ↩︎