Place du conditionnement

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L’utilisation du conditionnement chez les chevaux en équitation est un sujet de débat et de recherche continue. Les bonnes pratiques évoluent avec une meilleure compréhension du comportement équin et de l’éthique dans la formation des animaux. Il ne sera question ici que de généralités à ce sujet, l’étude et l’application des principes du conditionnement étant vaste et l’affaire de spécialistes. Mais nous allons aborder un exemple concret de décorrélation entre outil et réponse, avec le mors baucher.

En bref !

Les chevaux sont sensibles aux signaux non verbaux des cavaliers, tels que les aides subtiles, la posture et le langage corporel. Ces signaux sont souvent utilisés dans le processus de conditionnement. C’est par ce processus que les chevaux apprennent à associer un (ou des) stimulus du contact avec une réponse spécifique. Et l’outil utilisé, quel qu’il soit, n’a que finalement peu d’incidence sur le résultat.

Le conditionnement, en bref

Il existe plusieurs courants de pensées et d’usages au niveau du conditionnement en équitation. Le conditionnement opérant est le plus souvent utilisé dans l’équitation. Les renforcements positifs (récompenses comme des caresses, des friandises) et négatifs (retrait d’une pression désagréable, comme la pression des jambes ou des aides) sont des techniques courantes de ce type de conditionnement.

Le contact en est d’ailleurs une bon exemple. Le retrait de la contrainte exercée sur l’outil du contact fait partie du panel du renforcement négatif.

À noter que les techniques basées sur le renforcement sont généralement plus efficaces et éthiques que celles basées sur la punition. Le renforcement positif renforce les comportements désirés, tandis que la punition peut causer de la confusion et de l’anxiété chez le cheval.

Les comportements complexes en équitation sont renforcés progressivement jusqu’à ce que le comportement final soit atteint.

La clarté et la cohérence dans les signaux donnés par le cavalier sont essentielles pour un conditionnement efficace. Les chevaux apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent des signaux cohérents et précis. C’est précisément là que outil et conditionnement se croisent !

L’outil : simple vecteur d’informations

Vous ne verrez pas ici de raccourcis du type : « ce mors X est un abaisseur de la nuque et permet de fermer des chevaux trop ouverts ». Ou encore « Ce mors Y est super pour tel problème », etc…

D’une part, ce genre d’assertions ne reposent sur rien de vérifiable et ont contribué à l’émergence d’idées reçues aussi erronées que coriaces. D’autre part, ce serait oublier un principe fondamental en équitation : le conditionnement.

Le contact, comme toute autre aide, résulte d’un apprentissage et d’une codification dont la perception et le sens peuvent varier d’un cheval à l’autre.

Gardons à l’esprit que le mors (ou l’ennasure, ou l’embouchure) reste un outil, simple vecteur d’une information. Il ne peut (ni ne doit) à lui seul faire varier des attitudes.

Exemple concret : le mors baucher

Il est responsable d’échanges houleux sur les forums équestres, le plus diabolisé et surtout le plus incompris des mors à action simple. Alors, le baucher ? Abaisseur, releveur, levier ?… 

Un mors baucher

Dixit les revendeurs : « le mors baucher, en basculant sous l’action des rênes, crée une pression sur la nuque. Cela lui permet de faciliter le relèvement de l’encolure et d’alléger le cheval sur les épaules ».

Et bien c’est faux.

Avant d’expliquer pourquoi, essayons de comprendre d’où peut venir cette croyance populaire. Le baucher est un mors sur lequel rênes et montants du mors ne sont pas attachés au même anneau. Les montants du mors s’accrochent à l’anneau supérieur et les rênes à l’anneau inférieur.

Ainsi, dans cette configuration, il est aisé de se dire que lorsque les rênes se tendent, le mors bascule. Alors, les anneaux supérieurs basculent aussi vers l’avant venant tendre les montants du mors. Tension alors répercutée sur la nuque via les montants.

Le second – non des moindres – c’est qu’à l’origine, les mors baucher, étaient plus imposants que ceux que nous utilisons aujourd’hui. En effet, les branches reliant anneaux principaux et anneaux supérieurs de chaque côté du mors mesuraient aux alentours de 15cm. Amplifiant donc ce phénomène en rigidifiant l’ensemble de la briderie.

Que « fait » vraiment le baucher ?

Maintenant, essayons de comprendre ce que « fait » vraiment le baucher, quel est véritablement son comportement. Effectivement, lorsque les rênes entrent en action, le mors bascule. Les anneaux supérieurs décrivent un plus grand trajet que les anneaux inférieurs du fait de leur éloignement de l’axe. Jusqu’ici c’est vrai et c’est une composante du couple.

Là où se situe l’erreur, c’est de considérer que le mors entre en rotation à partir d’un point fixe et rigide et vient tendre des montants tout aussi rigides.

Pivots et pivots flottants

En effet, ce modèle physique est exact si il s’applique sur pivot fixe. Hors, la bouche du cheval est ce que l’on appelle un « pivot flottant ».

Le matériau sur lequel repose et agis le mors via les mains du cavalier est souple, élastique et déformable, ce qui ne permet pas d’appliquer un effet de levier stricto-sensus. Les montants du mors aussi sont souples. Quant au mors, en plus de tourner sous l’action des rênes, il remonte le long de la langue (en direction de la nuque). La force transmise aux montants du mors les font bouger.

Dans le cas du mors baucher, ces derniers s’écartent de la tête du cheval. La « transmission » de la force s’en trouve alors modifiée. Pour couronner le tout, au bout de ces montants : la nuque est elle aussi un pivot flottant !

En conclusion, le baucher n’augmente pas la pression sur la nuque et a même tendance à la supprimer.

Expérimentation

En équipant des chevaux avec des sensors au niveau de la têtière et des rênes, la Neue Schule 1 a trouvé les résultats suivants :

Neue Schule experimental study on baucher’s pressure

Que nous montre ce graphique ?

Au repos, à 0 N de tension dans les rênes, le baucher exerce 1 N 2 de tension sur la nuque. Cela correspond à la « pré-tension » des montants du mors, c’est à dire la tension qu’ils exercent du fait de leur simple présence et de leur simple réglage sur la tête du cheval.

Ensuite, entre 1 N et 40 N 3 de tension dans les rênes – c’est là que ça devient intéressant ! – non seulement il n’y a pas de tension supplémentaire sur la nuque mais en plus, le baucher, tendrait à la supprimer tout court, affichant des valeurs négatives ! Ceci est dû à ce qui est expliqué plus haut, la translation du mors vers la nuque et l’écartement des montants du mors.

Et pour finir d’illustrer cette histoire de pivot flottant, nous avons la dernière partie du graphique. Nous observons, entre 60 N et 80 N de tension dans les rênes , trois « grappes » de données où, effectivement, le baucher crée une légère pression sur la nuque (entre 1 N et 3 N).

Pourquoi ?

Le transfert de pression

Ce phénomène est dû au fait que la pression supportée par la langue est largement outrepassée et vient alors se répartir sur les premières structures rigides qu’elle rencontre : les barres. Si le cheval a retiré sa langue, c’est aussi le cas. Le point de bascule devient alors moins flottant !

Au regard de ces éclairages, il va sans dire qu’à l’origine, effectivement, le mors baucher et ses 15cm de branches rigidifiant le tout, avait pour conséquence de créer une pression supplémentaire sur la nuque. Mais plus maintenant.

En conclusion, le baucher n’a absolument pas les effets que l’on lui prête. Le modèle physique (trop) basique de son fonctionnement et son ancien design ont simplement contribué à semer le doute.

En conclusion : l’outil ne fait pas le moine…

Pour en revenir au conditionnement, nous voyons bien qu’avec cette étude de cas, la structure du mors et son action ne peuvent pas concourir à eux seuls à la réponse du cheval. Dire qu’il est « abaisseur » ou « releveur » relève donc plutôt d’un abus de langage. Il n’en demeure pas moins que le baucher a quand même des caractéristiques intéressantes et se révèle parfois être un outil qui apporte un vrai plus. Certains chevaux l’adorent, d’autres le détestent, d’autres l’aiment un temps et c’est tout…

Mais si il n’appuie pas sur la nuque, pourquoi des réactions si franches ? Et pourquoi permet-il effectivement de travailler l’abaissement ou le relèvement de la nuque ?

De par son design, le baucher est un mors dit « suspendu », dont les appuis en bouche pourraient différer légèrement mais suffisamment des mors qui ne le sont pas, créant des réponses différentes. Le fait qu’en action le baucher supprime la prétension ressentie par le cheval via la tétière pourrait engager le cheval à relever la tête pour retrouver cet appui momentanément supprimé. Une sorte « d’appel de nuque », en somme.

…mais le conditionnement : OUI

Ce qui est observable également, c’est que de par leur « réputation », certains outils sont plus représentés que d’autres dans certains cas de figure 4 . Les cavaliers pourraient adapter leur propre comportement ou travailler selon des axes précis pour régler une problématique, tout en utilisant un outil « réputé » pour cette même problématique. Conduisant finalement à l’association  » tel outil = tel résultats »…

  1. Entreprise Anglaise fabricant des embouchures et possédant un plateau technique de recherche ↩︎
  2. ≈ 100 g ↩︎
  3. ≈ 4 kg ↩︎
  4. On appelle ça un biais de sélection ↩︎